Embruns du large : le carnet de bord de Loic Le Garrec. La solitaire du Figaro 2010

1ère étape : Le Havre – Gijon, 515 miles

Ma première expérience sur la Solitaire : une navigation semée d’embuches mais très riche d’enseignements.

Mardi 27 juillet, nous voilà parti pour la première et plus longue étape de cette nouvelle édition.
Départ, du Havre « joli » port de commerce, direction, Espana, Gijon, le paradis des tapas et de la cerveza.

Malgré un départ un peu raté, je passais, le Nord du Cotentin et le Raz Blanchard, dans le bon peloton. La remontée au près vers la pointe Bretonne fut quant à elle plus difficile à négocier : il fallait trouver le juste équilibre entre une option « courant » qui nous menait près des côtes ou une option « vent » qui nous envoyait plus au large. Pour ma part, je choisis l’option vent.

A l’issue de cette remontée haletante, on se retrouvait finalement tous au contact au passage du Four et du mythique Raz de Sein. 48 Heures de course s’étaient alors écoulées, ce regroupement de la flotte annonçait alors un nouveau départ, avant la longue traversée du Golfe de Gascogne.
Pour rejoindre Gijon, je choisissais, déterminé et convaincu, une option Est, qui volontairement m’éloignait un peu de la route et de mes camarades mais qui théoriquement devait me permettre de toucher plus de vent. Option très laborieuse, puisqu’au final je me retrouvais encalminé plusieurs longues et interminables heures dans la « pétole »… outre une analyse des fichiers « météo » trompeuse, j’accusais aussi des problèmes de vitesse qui m’ont fortement handicapé.

A l’arrivée, samedi au petit matin, j’accusais un retard de six heures sur le premier, Armel le Cleach et 5 heures avec le premier bizuth. 5heures, sur la Solitaire du Figaro, c’est énorme, et ce malgré une longue navigation de 4 jours et 4 nuits.

Même si le résultat sportif est ultra décevant, j’étais ravi de cette première grande navigation en solo : je me suis senti tout de suite bien sur l’eau, ayant trouvé mon rythme assez rapidement, et ayant su gérer ma vie à bord et mon sommeil de façon satisfaisante… c’est toujours ça 

2ème étape : Gijón – Brest, 418 miles

Une étape exigeante et éprouvante tant physiquement que moralement.

Mardi 3 aout : départ de la deuxième étape, direction mon fief : Brest.

C’est le « couteau entre les dents » que j’attaquais la deuxième étape avec la fière ambition de tirer mon épingle du jeu pour une arrivée à Brest, ma ville d’origine.
Les premières heures de navigation se révélaient plutôt encourageantes, marquées par un bon départ, un début de course au contact, dans un vent évanescent ; le premier soir, je pointais dans le bon paquet. La remontée vers la première marque de parcours (SN1, au large de Noirmoutier), dura 24heures et fut plutôt mouvementée : l’arrivée d’un front dépressionnaire nous apportait un flux de vents d’ouest avec 25 à 35 nœuds, avec une mer assez hachée. La rupture de la poulie de bras de spi me fit affaler mon spi. Résigné j’envoyais mon génois, plus tôt que les autres et me fit perdre 15 places, me reléguant à la 35ème place avant la remontée de la Bretagne Sud. Encore une fois, force est de constater, que la moindre petite erreur, ou problème technique ne pardonne pas.

La deuxième nuit au prés fut assez éprouvante physiquement. Au petit matin je franchissais Belle Ile puis Groix avec le retour du soleil, escorté par une multitude de dauphins. Un lever du jour qui vous met de bonne humeur !
Tout au long des côtes Bretonnes, une bataille effrénée de virements de bord avec Karine Fauconnier et Jean Paul Mouren, nous ramena au contact du peloton de tête en baie d’Audierne et me fit croire en mes chances de bien figurer au classement de cette 2ème étape. Malheureusement à l’approche du Raz de Sein, positionné plus près des côtes, je me fis piéger à nouveau et restais encalminé deux heures dans une zone sans vent, imperceptible de nuit.

Résultat une deuxième arrivée loin des premiers et forcément, résulte de cette nav’ une grosse déception.
Cependant l’accueil exceptionnel réservé par mes proches et tout le staff de la Société Pouliquen, qui avaient veillé toute la nuit pour m’accueillir au ponton, a été un véritable « booster » pour la suite.

Extrait de vacation :
« Pour l’instant, j’ai beaucoup souffert dans les deux premières étapes. Les leçons que je retiens de tout cela : rester plus dans le paquet et jouer plus ma carte au contact. J’ai souvent été trop tout seul dans mon coin. Sinon, la météo du début de cette 3eme étape est complexe avec vent et courant dans le nez. On aura encore le courant contre nous au passage du Four. Ca va être long, il faudra être patient sur les 10 à 12 premières heures. Ce qui sera déterminant : rester accroché au bon wagon dès le début. »

3ème étape : Brest – Kinsale en passant par le Fastnet 349 milles

La plus dure et la plus serrée !

Le départ s’annonçait fabuleux : petite brise, grand soleil et une multitude de bateaux sur l’eau, dont de nombreux supporters – sponsors, amis et famille. Tout était réuni pour une après-midi de rêve.
Malgré une ligne de départ mal positionnée qui sema le trouble parmi les figaristes, le spectacle en rade de Brest était

grandiose.
La première difficulté de la course consistait à sortir de la rade de Brest avec le courant et le vent de face. La parade: longer la côte au plus serré en tirant des bords pour avoir le moins de courant contre.
A ce petit jeu, les partisans de la côte nord, arrivaient avec quelques centaines de mètres d’avance sur ceux du sud à la pointe Saint-Mathieu, premier passage clef de cette 3eme étape. Pour ma part, j’avais optionné la côte Sud… comme quoi « nul n’est prophète en son pays ! »
Malgré cela, à l’entrée du chenal du Four, les écarts étaient très serrés et la traversée de la Manche sous spi avec un vent forcissant se révéla musclée. Alors que je m’accrochais comme un forcené au wagon de tête, mon spi explosa violemment dans un choc contre une vague. Déçu mais résolu, j’envoyais mon spi lourd, plus petit, après quelques minutes perdues sur les premiers. Cette nuit fut longue et difficile puisque nous évoluions à l’aveugle dans une mer croisée et hostile, sous une pluie battante et incessante. De plus, le vent très irrégulier, nous obligeait à régler les voiles en permanence. Ereinté, je m’octroyais quelques minutes de sommeil après le passage de Wolfrock, phare mythique coincé entre Land’s End et l’archipel des Scilly, avant d’attaquer le virage à l’IOuest, direction un autre mythe maritime: le Fastnet.
Cette remontée de 180 milles fut plus calme dans un vent mollissant et plus maniable.
Finalement la flotte virait le Fastnet, assez regroupée et entamait la dernière ligne droite jusqu’à Kinsale.
Nous avons longé la côte dans des vents plus faibles sous un ciel de plomb et des lumières magiques qui illuminaient de mille feux les somptueuses côtes Irlandaises.
Ce dernier bord me fut plutôt favorable et je regagnais quelques places grâce à une option qui me fit jouer avec la côte pour finir à une belle 26ème place à 40 minutes du leader. Une place peu extraordinaire en soi mais qui me redonnait confiance pour la quatrième étape qui part lundi de Kinsale en direction de Cherbourg !

4ème étape : Kinsale-Cherbourg 418 Milles

Après 4 jours d’escale à Kinsale, en Irlande, où nous nous sommes tous bien reposés, nous voilà parti pour la dernière ligne droite de cette Solitaire.
C’est donc plus motivés que jamais, que les 44 concurrents prennent le départ.
Sur la ligne, la bagarre est très serrée, et après un bon passage, dans les 15 premiers, à la bouée de dégagement, je me fais bloquer à la seconde bouée suite à un regroupement de la flotte et suis obligé de passer derrière tout le paquet.
Mon option au large pour rejoindre le Fastnet me remet dans le match et je passe le Rocher mythique, guidé par son impressionnant faisceau, assez proche du groupe de tête. La longue glissade sous spi peut alors commencer !

Le vent de Sud Ouest s’oriente rapidement au Nord Ouest pour fraîchir jusqu’à 30 nœuds, les vagues gonflent et les creux atteignent parfois trois ou quatre mètres, le bateau accélère et s’engage dans des surfs magiques à plus de 15 nœuds.
Malheureusement, mon grand spi déjà blessé sur l’étape précédente me lâche et éclate dans une forte risée.
Je ramasse les morceaux et envoie mon spi lourd (petit spi). C’est le moment d’empanner et là, j’hésite, le vent est soutenu et les vagues sont croisées: « j’affale ou je n’affale pas le spi?, allez, je tente le coup » mais ça ne passe pas, mon spi fait plusieurs tours autour de l’étai et de la balancine de tangon, on appelle ça un énorme « cocotier » dans le jargon !
Après une bonne heure de combat, je parviens à démêler le tout et à renvoyer la toile. Des minutes précieuses qui s’envolent.
L’approche de la Bretagne s’annonce tactique, le vent faiblit et la marée descend, cela nous obligent à approcher Lizen Venn Ouest par le nord, dernière bouée de parcours en face du phare de l’Ile Vierge, avant d’aller contourner le Cap de La Hague.

Mon option se révèle payante et je repasse un paquet de dix bateaux.
Mon spi lourd, me pénalise, le vent est faible et le groupe de poursuivants, composé de Fred Rivet, Yoann Richome, Adrien Hardy, Damien Cloarec et Jean-Paul Mouren, se rapproche inexorablement. Malgré tout je parviens à les garder à distance toute la journée en enchaînant une judicieuse série d’empannages, jusqu’au moment où au nord de l’ile de Guernesey, je suis piégé sous un nuage sans vent. Me voyant ralentir, le groupe de chasse contourne cette zone et me double juste avant le passage du Raz Blanchard. L’arrivée est toute proche et le classement ne changera plus, je parviens toutefois à contenir les attaques du doyen Jean-Paul Mouren qui terminera quelques minutes derrière moi sur la ligne d’arrivée dans la petite rade de Cherbourg.
Le résultat est peu flatteur, 34ème, néanmoins, j’ai énormément progressé tout au long de cette étape et de cette Solitaire et je suis heureux d’avoir été au bout de l’aventure, d’autant que l’accueil des Cherbourgeois restera mémorable.

Bilan de la Solitaire du Figaro – Loic Le Garrec

Même si le résultat final n’est pas à la hauteur de mes espérances (40ème sur 45), la course aura été fantastique, d’une intensité incroyable, et je me serais battu chaque seconde contre les autres concurrents et surtout contre moi-même.
C’est le dur apprentissage de la navigation en solitaire !

Il faut souligner l’exceptionnel niveau des 44 autres engagés dans la course, dont 7 participants au dernier Vendée Globe Challenge et 5 anciens vainqueurs de l’épreuve, la 26ème place du vainqueur de l’an dernier, Nicolas Lunven, prouve la difficulté du challenge ou encore la 32 ème place de Sébastien Josse, qui d’ailleurs n’a pu que se résoudre à l’évidence : « Le niveau est super élevé ! Il faut beaucoup travailler pour arriver au niveau des meilleurs. »
Bravo au magnifique vainqueur Armel Le Cléac’h, qui a remporté trois étapes sur quatre!

Cette année était pour moi une prise de contact, une reconnaissance avec la course en solitaire.

Finalement seule la bataille sur l’eau ne suffit pas pour briller. L’énergie dépensée en amont de la course, pour réunir le financement, préparer le bateau, organiser la logistique, participer aux régates qualificatives – tout cela en moins de trois mois –a limité mes capacités à m’exprimer pleinement sur l’eau.
Les facteurs de performance sont multiples et nécessitent un travail régulier et fastidieux au niveau physique (sommeil, nutrition, entraînement sportif, suivi médical, préparation mental) et au niveau technique (préparation du bateau, entraînement aux manœuvres et aux réglages, optimisation des outils informatiques, météo et stratégie…). Rien n’est à laisser au hasard, ni à mettre de côté. Tous les paramètres comptent…

Grâce aux 64 partenaires du club 500 pour 100, j’ai pu me lancer dans le « Grand bain », j’ai vécu intensément chaque seconde de cette épreuve mythique avec le sentiment d’en apprendre davantage chaque jour sur moi-même et sur la course. Je suis déçu du résultat, mais surtout heureux d’avoir vécu cette aventure humaine et sportive et ce grâce à tous les partenaires !

Je remercie toutes les personnes qui m’ont soutenues dans ce projet, en commençant par Yann Dubois et la société SCS qui s’est investi « bec et ongles » depuis le début de cette aventure avec moi, et tous mes proches qui m’ont aidé dans cette entreprise.

Merci à la Société Pouliquen, formidable gagnant du tirage au sort qui a plus qu’honoré le partenariat offert par le sort, en impliquant tout son personnel dans l’aventure et en partageant de nombreux moments riches en émotions à terre comme en mer. Enfin merci à Isabelle Fermiot et toute l’équipe de « Jardin d’hiver », pour vous avoir fait vivre la course via le site Internet « loiclegarrec.com » , ainsi qu’ Alain Roupie pour la qualité de ses photos et André Sydney pour ses vidéos et ses sourires. Et enfin merci à toux ceux qui ne sont pas cités, mais qui ont contribué à ce beau projet.

Aujourd’hui, j’ai vraiment le sentiment d’être plutôt au début d’une histoire qu’à la fin et ferais tout pour faire mieux l’année prochaine.

Je ne peux évidemment en rester là, et souhaite à nouveau m’aligner au départ de la 42ème édition de La Solitaire du Figaro qui partira de Perros Guirrec en 2011.
Le Club « 500 pour 100 » continue.
Nous travaillons déjà à l’avenir et vous tiendrons informé des nouveautés et actualités du Club dans les plus brefs délais.

A très bientôt,

Loïc Le Garrec

www.loiclegarrec.com

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